Coudre, nourrir, soigner… Ces gestes qui racontent la place des femmes à travers l’histoire

Ranger

«Voilà un des gestes les plus ingrats dans la mesure où, je crois que toute femme le sait, il demeure invisible. Personne ne remarque qu’on a rangé, les gens constatent seulement que la maison est accueillante. C’est seulement si on ne le fait pas que ça se voit, glisse notre interlocutrice. Les femmes sont sommées d’incarner l’ordre et de le mettre en pratique. Et c’est avant tout… elles-mêmes qu’elles doivent “ranger” – il ne faut surtout pas s’abandonner à des désirs personnels, facteurs de désordre dans la société telle qu’elle devrait être. D’ailleurs, quand il y a du désordre, on dit que c’est le “foutoir” ou que c’est le “bordel”. Une femme dont l’intérieur n’est pas rangé est là encore supposée avoir des mœurs tout aussi désordonnées. “Nos désirs font désordre” est un des slogans féministes des années 1970, il y a une raison à cela. Et si l’on feuillette les magazines féminins, de décoration et autres, on remarquera que l’injonction demeure tout aussi forte aujourd’hui, quand bien même elle a pris d’autres formes.»

Si l’on feuillette les magazines féminins, de décoration et autres, on remarquera que l’injonction de la femme au foyer demeure tout aussi forte, quand bien même elle a pris d’autres formesSophie Coste

Soigner

Historiquement, ce sont les femmes qui soignent, rappelle Sophie Coste, des cueilleuses de la préhistoire, familières des plantes et de leurs pouvoirs, en passant par la blonde Agamédé de l’Iliade ou les religieuses chargées de l’apothicairerie de l’hôpital, aux matrones qui veillent les mourants et assistant les femmes en couches. 

«Dès que la médecine est devenue un peu plus savante, plus scientifique, a commencé un vaste mouvement qui évacuait les femmes du domaine des soins. La figure du médecin a écrasé celle de la sage-femme, et d’ailleurs, on voit aujourd’hui qu’en cas de problème lors d’un accouchement, on appelle le médecin pour relayer la sage-femme.» La littérature regorge de personnages de mères veillant sur leur enfant malade, telle Madame de Mortsauf dans «Le Lys dans la vallée»de Balzac. 

«On peut imaginer qu’aujourd’hui, un père serait tout aussi inquiet et désireux de soigner son enfant qu’une mère, mais il faut garder à l’esprit que jusqu’à récemment, les enfants n’étaient pas l’affaire des hommes. Tout juste pouvaient-ils jouer un peu avec eux au retour du travail. Le monde professionnel contemporain continue de reconduire les femmes dans ce rôle traditionnel de celle qui soigne. La santé, l’action sociale, l’éducation sont autant de secteurs où elles occupent les trois-quarts des emplois. Les professions d’infirmière ou d’aide-soignante restent féminines et les métiers du care, qui demandent tant d’amour pour son prochain, car il en faut pour réconforter une personne âgée, donner à boire à un malade, laver le corps de quelqu’un qui ne peut plus le faire, demeurent féminins, et de ce fait même, dévalorisés et mal payés.»